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Publié le 26/06/2008 Le Point Interview
Paul Desmarais Une légende du monde des
affaires parle Par Propos recueillis par Patrick Bonazza © Christinne Muschi/Reuters
Le personnage n’est pas très connu en France. C’est pourtant un géant.
Paul Desmarais, 81ans, a créé une véritable dynastie. Né à Sudbury, dans
l’Ontario, province anglophone, où il n’était pas de bon ton de parler français
dans les lieux publics, Desmarais le Québécois est totalement bilingue.
Viscéralement opposé aux séparatistes, il se dit profondément canadien. En
économie, il est reaganien. Dans son immense propriété de Sagard, non loin de
Chicoutimi, l’homme le plus riche du Québec reçoit les puissants de la planète.
Des hommes d’affaires, mais aussi les Bush, les Clinton, et un certain Nicolas
Sarkozy, qui lui a remis récemment la grand-croix de la Légion d’honneur,
privilège rare quand on n’est pas français. Le Canada n’est plus le centre de
gravité de son groupe, Power Corp, très présent aux Etats-Unis, en Europe et bien avant la mode chinoise, en
Asie. Power Corp. est désormais dirigé par ses deux enfants, Paul, 54ans, et
André, 52ans. Desmarais n’est pas seulement un magnat des affaires. Il a la haute
main sur la presse de la Belle Province. Et tous les Premiers ministres du
Québec (et du Canada) sont ses amis. Desmarais, homme d’influence... Le
Point : Quand commence votre histoire ? Paul
Desmarais : Mes deux grands-pères
ont quitté le Québec en 1905pour venir s’installer dans la région de Sudbury,
cité minière de l’Ontario qui exploitait le nickel. Ils travaillaient tous les
deux pour le chemin de fer transcanadien. Mon grand-père paternel,
Toussaint-Noël Desmarais, a fondé un village qui s’est appelé Noëlville. Qu’avez-vous
fait comme études ? J’ai un diplôme de
commerce de l’université d’Ottawa, et j’ai fait du droit à Toronto. Mais je
n’ai pas fini mon droit. Pourquoi
? C’est toute une
histoire. Alors,
allons-y. Mon grand-père paternel
s’est installé à Noëlville et mon père, avocat de
formation, est allé pratiquer le droit et le notariat à Sudbury. Mon grand-père
maternel, lui, était un entrepreneur de grande envergure. Il a fait fortune à
Sudbury, où il possédait, entre autres, une ligne de chemin de fer. Elle
transportait, sur 8miles, les mineurs de la ville de Sudbury jusqu’à la mine.
Quand mon grand-père est mort en 1926, juste avant ma naissance, ma mère et mon
oncle ont hérité de ses parts (25 % chacun) dans la ligne de chemin de fer. Mon
oncle, William Laforêt, travaillait d’ailleurs à la
compagnie. Mon père, lui, s’occupait des moulins à scie [NDLR : scieries] de
mon grand-père en plus de sa pratique du droit. Votre
père était donc, comme vous le serez ensuite, un homme d’affaires... Avec la crise de 1929, tous
les moulins ont fermé. Il ne lui restait plus que la participation de ma mère
dans le chemin de fer et sa pratique du droit. Après la Seconde Guerre
mondiale, mon père a abandonné la ligne de chemin de fer pour des bus. Sauf que
les mineurs, de plus en plus nombreux, se sont mis à rouler en voiture et ont
délaissé les bus. La compagnie de mon père s’est retrouvée au bord du dépôt de
bilan. Que
faisiez-vous pendant tout ce temps ? A l’époque, j’étais en
première année de droit à Toronto. Quand je reviens à Sudbury à l’été 1950, on
est en pleine catastrophe. Mon père voulait vendre l’affaire de bus. Il
m’explique qu’il a une chance de céder la compagnie pour 18000dollars.
Autrement dit, rien du tout. ![]() ![]() C’est
là que vous intervenez... En effet. Je lui dis : «
Si tu vends, pourquoi pas à moi ? Je verrai ce que je peux faire pendant l’été.
» Vous
aviez une idée derrière la tête ? Je pressentais qu’un
jour je prendrais la succession. Quand j’étais petit, mon père m’emmenait
toujours avec lui. J’adorais voir les locomotives, aller dans les ateliers. En
fait, j’ai toujours rêvé un jour de posséder la Canadian Pacific, la ligne de
chemin de fer qui relie Halifax à Vancouver. Comment
a réagi votre père à votre proposition ? « Toi, m’a-t-il dit, tu
vas finir ton droit. » Pour mon père, l’entreprise était perdue. La dette
s’élevait à environ 500000dollars. Alors,
comment l’avez-vous convaincu ? Ma mère a plaidé pour
moi. Elle a tellement insisté que mon père m’a confié l’affaire le temps d’un
été. Le même week-end, j’ai été nommé président de la compagnie. Ça a dû
vous faire drôle. Vous aviez quel âge, alors ? ![]() 23ans. A cette époque,
je portais un blouson de cuir comme les motards. Le lundi, lorsque j’arrive au
bureau de la compagnie je tombe sur le chef comptable. « Qu’est-ce que tu fous
là ? me crie-t-il en anglais.-Je suis le nouveau président de la compagnie.-Tu
es quoi ?-Le nouveau président de la compagnie.-Ah oui ? » Il prend son téléphone
et appelle mon père : « John, qu’est-ce que c’est que ce bazar ? Il y a Paul
qui est devant moi et qui prétend être président de la compagnie. » Mon père
lui dit la vérité. « Alors, conclut le chef comptable, s’il est président, moi
je m’en vais ! » Ça
commençait bien... Effectivement, tous les
employés du bureau sont partis, ils étaient quatorze. Tous, sauf la
téléphoniste, qui deviendra ensuite mon assistante. Qu’avez-vous
fait alors ? On devait de l’argent à
tout le monde, aux banques, aux fournisseurs de carburant, aux vendeurs de
pneus, et nous n’avions que 18autobus. Septou huitn’étaient plus en mesure de rouler. On les
cannibalisait en prenant des pièces de rechange pour faire rouler les autres. Ça
n’explique pas comment vous avez fait. J’ai vendu la ligne
d’autobus de la mine d’Inco pour 50000dollars à une
autre compagnie. Et j’ai pris la concession des lignes de la ville de Sudbury.
La première année, j’ai gagné 5000dollars. Le plus dur au début, c’était
d’assurer la trésorerie. Il me fallait trouver 3000dollars par semaine pour
payer mes chauffeurs et mes mécanos. La première semaine, je suis allé voir le
curé de la paroisse Saint-Jean-de-Brébeuf, un ami de mon père. Il me dit : « Tu
perds ton temps avec tes bus, tu devrais retourner à tes études de droit au
mois de septembre. Laisse tomber cette affaire, tu vas ruiner ta vie. » Je
lui ai dit que si je n’avais pas 3000dollars je devrais fermer lundi. On était
vendredi. « Très bien, m’a dit Monseigneur. Je ne te prête pas l’argent, je te
le donne, mais tu me promets que tu vas partir faire ton droit en septembre. » Et
ensuite ? La semaine suivante, je
suis allé voir le beau-père de ma soeur, qui était
entrepreneur de pompes funèbres. « Tu vois le gars qui est mort la semaine
dernière, m’a-t-il dit, je ferais mieux de lui prêter à lui. Ton affaire, c’est
une affaire de fous. » Il m’a quand même prêté les 3000dollars. La troisième
semaine, un immigré polonais qui s’installait à son compte m’a racheté une
machine qui était utilisée aux travaux de chemin de fer. On ne s’en servait
plus. On l’avait payée 10000piastres [NDLR : dollars], je l’ai laissée à 3000. La semaine suivante, je
suis allé voir le beau-père de ma soeur, qui était
entrepreneur de pompes funèbres. « Tu vois le gars qui est mort la semaine
dernière, m’a-t-il dit, je ferais mieux de lui prêter à lui. Ton affaire, c’est
une affaire de fous. » Il m’a quand même prêté les 3000dollars. La troisième
semaine, un immigré polonais qui s’installait à son compte m’a racheté une
machine qui était utilisée aux travaux de chemin de fer. On ne s’en servait
plus. On l’avait payée 10000piastres [NDLR : dollars], je l’ai laissée à 3000. Bon,
mais vous étiez coincé... Alors j’ai joué gros.
J’avais besoin de cash. Je me suis débrouillé pour avoir un rendez-vous avec le
grand patron d’Inco, propriétaire de la mine, un
personnage très important dans tout l’Ontario. Je me souviens de son bureau, un
bureau de grand seigneur. Il m’a pris de haut. Je lui explique que j’ai
rendez-vous avec lui. « Pas du tout, dit-il, j’ai rendez-vous avec ton père. »
Il appelle mon père. Lui demande ce que fait « le gosse qui est devant [lui]
dans son bureau ». Mon père lui explique que je suis le président de la
compagnie de bus. « Ridicule, dit le patron de la mine. Tout cela n’a aucun
sens. » Alors il me demande ce que je voulais. « Je n’ai pas beaucoup de temps
à perdre », ajoute-t-il. Je lui détaille alors le business plan de cinq ans que
j’avais préparé sur un rouleau de papier peint. Je vois qu’il est surpris. «
D’accord, mais où vas-tu trouver les 50000dollars du début ? » me demande-t-il.
Je fais ni une ni deux : « C’est vous qui allez me les prêter. » Il proteste :
« Je ne suis pas la Croix-Rouge. » Échec,
donc... Eh bien, non.
L’important, c’est que tout le monde à Sudbury savait que j’avais rencontré le
plus grand patron de tout l’Ontario. Vous comprenez ? Ça m’a donné une
crédibilité. Le patron de la mine a même fini par lâcher les 50000piastres. C’est
de là que date votre fortune... A 23ans, j’avais réussi
à monter un tour de table ! Bien plus tard, le patron de la mine me dira que
dès qu’il m’avait vu il était convaincu que je m’en sortirais. Entre-temps,
avez-vous tenu la promesse faite au c de Sudbury ? Oui, je suis retourné
faire mon droit à Toronto. Tous les week-ends, je faisais 360miles en voiture
pour aller à Sudbury m’occuper des bus. L’hiver, ça pouvait prendre jusqu’à dix
heures de route. Jacqueline,
votre femme, vous l’avez rencontrée à Sudbury ? Oui, oui. On se voyait
tout le temps. On habitait dans le même bloc d’immeubles. Pendant un temps,
nous ne nous sommes plus vus. Jacqueline était partie un an et demi en
Californie. Quand elle est revenue, j’ai sorti le grand jeu pour la séduire.
J’ai acheté trois voitures cet été là pour l’impressionner. Un pick-up, puis
une Pontiac un peu trop petite et enfin une Chrysler décapotable. J’allais la
chercher à l’hôpital de Sudbury où elle finissait à 16heures. Jamais elle n’a
voulu monter dans ma voiture. Elle prenait toujours un de mes bus. Alors j’ai eu une idée.
Un jour, j’ai dit au chauffeur du bus de s’arrêter à un certain endroit, un
stop, et de ne plus bouger. Ce qu’il a fait. Quand il s’est arrêté, je suis
monté. Et là, tout en insistant auprès du chauffeur pour qu’il ne reparte pas,
j’ai invité Jacqueline à rentrer avec moi en voiture. Elle ne voulait pas. Les
voyageurs, qui me connaissaient tous, se sont mis à râler. Le chauffeur voulait
repartir, mais je lui ai intimé l’ordre de ne pas bouger. Après de longues
minutes, Jacqueline a fini par céder. Elle a accepté de rentrer avec moi. Trois
mois après, on était mariés. Pour notre lune de miel, nous sommes allés aux
Bermudes. J’ai dépensé une fortune. Vous
meniez de front la gestion de la compagnie de bus et vos études ? Oui, jusqu’au jour où
mon médecin en a décidé autrement. Comment
ça ? A l’époque, j’avais de l’asthme.
Pour mon médecin, c’était dû à la tension, au stress. Il disait que j’avais le
choix : « Ou vous devenez homme d’affaires, ou vous devenez avocat. Si vous
choisissez d’être avocat, vendez tout. Vous ne pourrez pas faire les deux.
Mais, a-t-il continué, des avocats, il y en a beaucoup. Vous êtes un bon homme
d’affaires. Choisissez donc les affaires. » J’ai suivi son conseil. Alors
comment l’homme d’affaires a-t-il aussi bien réussi ? Je ne sais pas. J’ai
saisi les opportunités qui se présentaient. En
rachetant des compagnies de bus à Ottawa, à Québec, à Montréal... et en les
revendant à l’occasion... Oui, avec ça, on a fait
pas mal d’argent. J’ai conservé Sudbury le plus longtemps possible. Ça me
donnait l’occasion d’aller voir mes parents. Mais quand la ville a mis fin à la
concession, on a fermé. Votre
gros coup reste Power Corp., qui a donné le nom à votre compagnie.
Racontez-nous... Il faut que je vous
parle d’une rencontre déterminante. Jean-Louis Lévesque, Canadien français né
dans le Nouveau-Brunswick, était un grand financier du Québec dans les années
50, à l’époque où Maurice Duplessis était Premier ministre de la province.
C’est Duplessis qui a aidé à « créer » Lévesque en lui donnant la
commercialisation des bons du Trésor de la province, jusque-là réservée à la
finance anglophone. Lévesque dirigeait le Trans-Canada
Corporation Fund. Il fumait beaucoup et aimait le
Martini. Quand on discutait dans les clubs anglais où il m’emmenait, il fallait
que je prenne du Martini. Je n’avais pas l’habitude. En quoi
a-t-il été décisif pour vous ? Lévesque avait confiance
en moi. « Tu veux 3,5millions, allez, je peux bien te prêter 4,5millions. » Les
conditions de ses prêts étaient toujours avantageuses. Il vous
a donc accompagné. Et peut-être permis d’acheter autre chose que des compagnies
de bus... C’est un peu ça. Un
jour, j’étais à une partie de pêche dans le Nord-Ontario pour un week-end avec
les cadres de mes compagnies de bus. En épluchant les cours de Bourse, je
découvre qu’un fonds que j’avais repéré avait perdu 50 % de sa valeur. Il ne
valait plus que 5millions de dollars. Je savais qu’il était contrôlé par un
Anglais. Tout de suite je pars pour Montréal et m’envole pour Londres. Je
rencontre l’actionnaire anglais et lui présente le marché : « Je vous donne
75sous au lieu de 50. » Il a topé. Trois semaines plus tard, le fonds valait à
nouveau 10millions. J’ai tout vendu. J’ai gagné 2,5à 3millions. Peu après, je
me reposais dans ma maison de La Malbaie, où nous
nous trouvons. J’étais en train de prendre mon bain en lisant le Globe and
Mail. Je parcours la liste des compagnies d’assurances, car je voulais en
acheter une. Ce n’est pas rien, une compagnie d’assurances. On possède des
participations un peu partout. Ça me plaisait. Vous
avez donc trouvé votre bonheur ? Ce jour-là, j’en repère
une qui vaut 20millions de dollars. J’en possédais 10. J’appelle mon avocat à
Montréal. Je lui demande quelle chance on a d’acheter Imperial Life à Toronto.
« Aucune », dit-il. Je lui demande pourquoi. « Les anglophones ne lâcheront
pas. » Jean-Louis Lévesque était du même avis. « Tu perds ton temps, me
disait-il. L’establishment ne lâchera pas. » Il
s’est trompé ? Quand je suis revenu de
Toronto et lui ai dit que j’avais fait affaire, il ne voulait pas me croire. Je
lui ai répondu : « Ce n’est pas la langue qui mène les affaires, c’est le cash.
» A
partir de là, vous décollez... Je possédais Imperial
Life, j’étais toujours dans les bus, quand Jean-Louis Lévesque, qui voulait se
retirer, me propose de fusionner avec sa société Trans-Canada
Corporation Fund. J’ai « acheté » Louis. Je me suis
retrouvé à la tête de toutes sortes de sociétés : des champs de courses, des
fabriques de meubles, de confitures, de bateaux... Un jour, j’ai fini par
mettre la main sur Power Corp., ancienne compagnie d’électricité transformée en
holding. De bons amis à la Banque
royale m’ont accompagné. Après
avoir acheté Power Corp., en 1968,vous vous intéressez
à l’Europe... Avec Power Corp., je
changeais de dimension. Je suis donc allé à Paris. J’avais envie de trouver
quelque chose en France. Pourquoi
sortir du Canada ? Parce qu’on ne met pas
tous ses oeufs dans le même panier, ou dans le même
pays, si vous préférez. Je voulais donc être présent en Europe, aux Etats-Unis, mais aussi en Asie. En
1979, vous entrez donc dans Paribas... J’ai acheté 5 % de
Paribas. Et puis, après 1981, quand François Mitterrand est arrivé, nous avons
récupéré Pargesa avec Albert Frère. C’est là que nous
avons logé nos participations en France. Albert
Frère, c’est toute une histoire. Il se trouve qu’Albert
Frère, que je ne connaissais pas du tout, a pris lui aussi 5 % dans Paribas au
même moment que moi. Nous nous sommes rencontrés pour
la première fois au conseil d’administration de Paribas. Et puis nous sommes
devenus amis. On se voyait en dehors des conseils. Quand nous avions des
réunions de travail avec Paribas, lui était « le Belge » et moi « le Québécois
». Qu’est-ce
qui s’est passé entre vous ? Difficile à dire. On
s’est bien entendus tout de suite. Et on ne s’est plus quittés. Albert est mon
ami, un frère. On s’appelle tous les deux ou trois jours. Et ça
dure depuis près de trenteans... Dès le début, quand nous
étions d’accord, on se tapait dans les mains. Et on a continué comme ça. On
décide ensemble. Albert et moi sommes liés jusqu’en 2014. Et ce n’est pas fini.
On veut aller au-delà. Nous ne pouvons pas nous séparer. On n’a jamais eu de
différends que nous ne pouvions pas régler. Pourquoi
êtes-vous allé très tôt en Chine ? J’avais lu un livre de
Pearl Buck sur la Chine. On y parlait de la misère, des années sans récolte. La
première fois que je suis allé en Chine, c’était en 1978, à une époque où, au
Canada, on l’ignorait. Personne ne fréquentait l’ambassadeur de Chine à Ottawa.
Sauf moi. Les Chinois ont été très sensibles au fait que j’organise, en 1978,
une visite à Pékin avec une vingtaine d’hommes d’affaires canadiens. Très
souvent aussi j’invitais ici, à La Malbaie, des
officiels chinois. J’ai eu la chance de rencontrer tous les dirigeants qui comptaient,
en particulier les membres du Comité central. Aujourd’hui, c’est mon fils André
qui s’occupe de la Chine. Il est très bien reçu-même mieux que je ne l’étais. Oui,
mais à part vos 5 % dans Citic, vous n’avez pas
grand-chose en Chine... Détrompez-vous, Citic, c’est énorme, c’est beaucoup d’argent. Sans compter
que cela donne une position d’influence. Dans le conglomérat Citic, il y a un peu de tout, de l’électricité, des routes,
de l’immobilier, des lignes aériennes, des fabricants d’acier et une mine de
fer. Et aux
États-Unis ? Tout a commencé quand
j’ai acheté Great-West Life. Tout est parti de là. Mon fils Paul a su renforcer
nos positions. Votre
groupe, très axé sur la finance, souffre-t-il de la crise des subprimes ? On traverse bien la crise,
à moins que quelque chose arrive que nous n’avons pas
vu. Nous avons toujours été très conservateurs. Après tout, nous gérons
l’argent des autres. Vouloir gagner un huitième de 1 % de plus, c’est de la
cupidité. C’est aller trop loin. Nous n’avons jamais été cupides. Vous
sentez-vous québécois ? Mais pourquoi me
posez-vous cette question ? Parce
que vous êtes né dans l’Ontario. Je suis franco-ontarien
de naissance. J’ai choisi le Québec pour y vivre. Je suis canadien. Le Canada,
c’est mon pays. Le Québec, c’est ma province. Etes-vous
le Québécois le plus riche ? Je ne suis pas certain,
mais ça ne me plaît pas qu’on le dise. Je n’aime pas ça. Quand on arrive à un
certain montant, qu’est- ce qu’on peut faire, sinon se péter les bretelles ? Etes-vous
un catholique engagé ? Ma mère était très
catholique, mon père un peu moins. On allait à la messe, régulièrement. On peut
dire que je suis plus croyant que pratiquant. Je viens de faire bâtir une
église pour les gens de Sagard. Maintenant, j’irai plus souvent. Le
sport, ça vous plaît ? J’aime regarder le
hockey et puis le football, surtout quand la France gagne... J’aime bien jouer
au golf. J’adore la chasse et la pêche. Votre
domaine de Sagard, à 40miles de La Malbaie est,
paraît-il, immense ? Pour faire « marcher »
Frère, je lui dis que c’est plus grand que la Belgique. Ce n’est pas tout à
fait vrai... Votre
château ressemble à Versailles
. Pas vraiment. Son
architecture s’inspire de la Malcontenta de Palladio,
une villa des environs de Venise. Il y a
d’autres bâtiments ? La Gaminerie est un
ancien relais de chasse où l’on a aménagé des chambres. Le Petit Bonheur est la
première cabane qu’on a bâtie pour les enfants. Quels
animaux trouve-t-on à Sagard ? Toutes sortes de
poissons dans les lacs. Des faisans que nous introduisons pour la chasse. Mais
il y a aussi des orignaux. L’orignal n’est pas un animal facile à chasser. Il
faut se lever tôt et avoir un bon guide. On trouve aussi des chevreuils et des
ours qui viennent détériorer notre terrain de golf. Combien
d’employés avez-vous à Sagard ? L’hiver une trentaine,
l’été peut-être autour de cent. Il y a du travail pour l’entretien des routes,
des jardins... Bill
Clinton, Bush père, des Premiers ministres québécois et canadiens, cheikh Yamani, le roi d’Espagne, etc. Qui n’est pas venu à Sagard
? Tout le monde n’est pas
invité. Mais on a eu beaucoup de monde. Pour des fêtes de famille, on fait
venir des musiciens d’orchestre, des membres du Cirque du Soleil, des
chanteurs. Charlebois est un habitué. C’est un numéro ! Nous vieillissons
ensemble. Bientôt je vais faire une grande fête pour l’anniversaire de
Jacqueline. Ma femme attire beaucoup de monde chaque année avec le tournoi de
golf qu’elle organise à Sagard au profit de ses oeuvres
de bienfaisance. Maurice
Druon est un habitué de Sagard... J’ai eu l’occasion de le
rencontrer à une réception de l’Académie française. Nous avons parlé du Canada
et d’autres choses. Et puis des « Rois maudits ». Je lui ai dit que son livre
m’avait tenu en haleine. Je ne suis pas allé au bureau pendant deux jours.
C’est un livre extraordinaire. Dassault,
Peugeot, Arnault, Bettencourt, Seillière... Vos
invités français à Sagard sont plutôt des familles capitalistes... En effet. Quelques-unes
de ces familles sont dans un fonds Sagard. Pour le plaisir ou pour l’argent ? Ce sont mes fils avec
leurs collègues qui s’occupent du fonds qui est basé à Paris. L’objectif, c’est
de faire de l’argent. C’est une priorité. Mais il y a aussi du plaisir à être
ensemble. Parmi
les invités célèbres à Sagard, vous avez eu Nicolas Sarkozy. Votre président est venu
à Sagard, mais aussi ici, à La Malbaie. Sa dernière
visite remonte à l’hiver 2005. J’ai rencontré Nicolas Sarkozy grâce à Albert
Frère. C’était après l’élection de Chirac à la présidence, celle de 1995.
Albert, qui chaque année au printemps donne une fête à Bruxelles, savait que
j’étais venu avec mon avion à Paris. Il m’a demandé si je pouvais emmener un de
ses invités. J’étais tout seul, j’ai dit oui, bien sûr. C’est comme cela qu’un
soir j’ai rencontré au Bourget Nicolas Sarkozy. Je ne le connaissais pas du
tout. Nous avons discuté dans l’avion. Je l’ai même ramené ensuite à Paris. Vous ne
pouviez pas savoir ce qu’il allait devenir... Je ne savais pas du tout
qui il était. Il m’a dit qu’il était en politique. Je lui ai demandé pourquoi.
Parce que, m’a-t-il répondu, il faut que les choses changent si la France veut
être en mesure d’affronter les défis du XXIe siècle. Devait-il
venir à Sagard à l’été 2007, après son séjour aux Etats-Unis
? Il n’en a jamais été
question. Mais je l’aurais volontiers invité. Parlez-nous
de la nuit du Fouquet’s... Sarkozy nous avait dit :
« Venez, ce sera en famille. » En fait, il y avait beaucoup de monde. Il y
avait de l’excitation dans l’air. J’ai parlé à la mère du président. A mon âge,
ce sont des soirées fatigantes. Je ne suis pas resté longtemps. Après ça, je
suis parti assez tôt. Vous le
voyez souvent ? Je le vois de temps à
autre quand je passe à Paris. Mais pas souvent, il est tellement occupé. Quand il
vous a remis la grand-croix de la Légion d’honneur, il a prétendu que c’était
un peu grâce à vous qu’il était devenu président... Quand il est venu au
Québec, je l’ai encouragé. La France a des problèmes, il n’y a aucun doute. Il
a de bonnes idées. La France a besoin de lui. Avant
la grand-croix, vous avez reçu la Légion d’honneur sous Mitterrand. C’est Maurice Druon qui
m’a décoré. Bien sûr, le président Mitterrand avait signé. C’était
comment avec Mitterrand ? Un jour, je déjeunais
avec lui à l’Elysée. J’accompagnais Brian Mulroney,
alors Premier ministre du Canada. « Monsieur Desmarais, me dit le président, je
sais que vous vous intéressez à Napoléon. Venez donc avec moi. » On se lève, on
fait le tour de l’Elysée pour se retrouver dans le
salon d’argent. « C’est ici, me dit-il, que NapoléonIer
a abdiqué, à cette table. » Il me donne à lire l’acte d’abdication. « Je
m’excuse, monsieur le président, je n’ai pas mes lunettes », lui dis-je. Du
coup il me l’a lu. Et a expliqué, ensuite que dans ce même bureau Napoléon III
a signé l’acte qui le faisait empereur des Français. Quelles
sont les personnalités qui vous ont le plus impressionné ? Mitterrand était
quelqu’un de fantastique. Il me fascinait. C’était un gentleman. Rien à voir
avec le politicien ordinaire. Et
encore ? M. Mulroney m’a beaucoup
marqué. C’est lui qui a signé l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis et le Mexique. Les Bush sont tombés en amour
avec lui. Ronald Reagan, lui, est hors concours. J’admire beaucoup George Bush
père et suis très fier de l’avoir comme ami. Bush fils a été assez gentil de me
recevoir à la Maison-Blanche. A votre
manière, vous faites de la politique. Pourquoi ne pas avoir franchi le pas ? Tout vient de mon oncle,
William Laforêt. Pendant deux ans, il a été maire de
Sudbury. A un moment fantastique. En 1939,GeorgeV
et ElisabethII d’Angleterre en visite au Canada sont
passés à Sudbury. Mon oncle les avait reçus. Il était fier et croyait que ses
électeurs en serait reconnaissants. En 1940,il a été battu aux élections. Il ne s’en est pas remis. Il
a fait une dépression. Un politicien sait qu’un beau jour il va perdre, ce qui
équivaut à la faillite. C’est inévitable. Mon oncle me disait que je pourrais
être Premier ministre du Canada. J’ai dit : « Non, je veux être un homme
d’affaires. Si je fais faillite, ce sera ma faute. Je ne veux pas dépendre d’un
gars dans un coin qui va voter contre moi. » Quand
même, vous faites de la politique... Après, à un certain
moment, j’aurais pu me lancer. Je n’ai pas eu envie. Quand j’étais jeune, en
fait, c’était exclu parce que j’avais un petit problème : je bégayais beaucoup. Quelle
est la ligne éditoriale de La Presse ? C’est mon fils André qui
est chargé de La Presse . Notre position est connue :
nous sommes fédéralistes. Ça nous a valu des conflits très durs. Au final, on
est arrivé à un compromis : je ne dois pas intervenir dans le journal. Le point
de vue des séparatistes peut apparaître, mais la ligne éditoriale est
fédéraliste. Il n’y a pas d’ambiguïtés. Si le Québec se sépare, ce sera sa fin.
Moi, je suis attaché à la liberté et à la démocratie. Bien sûr, notre directeur
de la rédaction est fédéraliste. Mais c’est lui qui mène son affaire. Je ne
l’appelle pas pour lui dire ce qu’il doit faire. Vous vous situez où politiquement au Canada ? Je suis conservateur. Alors
il doit y avoir de sérieuses discussions avec le beau-père de votre fils André,
Jean Chrétien, ancien Premier ministre libéral du Canada ? C’est un très bon ami et
puis nous sommes fédéralistes tous les deux. Pour le reste, les déjeuners en
famille sont animés. Mais je reconnais qu’il a très bien géré le pays [NDLR :
de 1993à 2003]. C’est lui qui a fait les grandes réformes et remis le Canada
sur les rails. Justement,
selon vous, la France est-elle un pays en déclin ? Si la France continue
avec des déficits et des programmes sociaux qu’elle est incapable d’assumer,
elle est mal partie. Sarkozy arrive en pleine crise financière. Mais il a une
vision pour la France. C’est l’homme de la situation. Si Paul
et André, vos enfants, ne s’étaient pas révélés être à la hauteur, auriez-vous
vendu le groupe ? Non. C’est une affaire
de famille. D’accord,
mais s’ils n’étaient pas à la hauteur ? Il n’était pas question
qu’ils ne soient pas à la hauteur. J’ai associé mes enfants aux affaires très
tôt, dès 8ou 9ans. Je les emmenais partout. Quand je signais un contrat
important, ils étaient là. Je leur disais : « Asseyez-vous là, et écoutez. »
L’été, je les envoyais travailler dans des fermes de bons amis à moi. S’ils
travaillaient bien, je les emmenais en Chine avec leurs copains. Vos
filles ne sont pas associées aux affaires.. . Elles avaient d’autres
intérêts et priorités. André
et Paul président ensemble Power Corp. Si vous n’étiez pas là,
s’entendraient-ils vraiment ? Ils s’aiment tous les
deux. Ils s’entendent très bien. Ça ne les empêche pas d’avoir des discussions
animées sur le business. Les questions qu’ils soulèvent sont intelligentes. Ils
sont professionnels. Ça fait onze ans, depuis que j’ai passé la main, que mes deux
fils sont sur le même niveau. Et ça marche ! La relève de génération a été bien
faite. Quand ils veulent mon avis, alors ils viennent me voir. Vous
voyez, vous êtes toujours là. Quelles sont vos responsabilités ? C’est moi qui contrôle
la compagnie, car c’est moi qui détiens le plus d’actions. Je ne suis plus
président du conseil d’administration. Je suis simplement chairman du comité
exécutif. Autrement dit, s’il faut arbitrer je suis là. Mais on n’a jamais eu
vraiment de problème. Avez-vous
une prédilection pour certains personnages historiques ? En dehors de Napoléon,
il y a Bismarck, Pierre le Grand, Catherine II... Mais aussi, naturellement,
Churchill et beaucoup de présidents américains, surtout les premiers. J’ai lu
tout ce que je pouvais trouver sur eux. Je suis fasciné par ces hommes qui
aimaient la liberté et qui ont bâti un pays. Vos
livres préférés ? J’aime beaucoup les
biographies, celles de Talleyrand, de Fouché et toujours Napoléon. Y
a-t-il un avenir pour la France au Canada ? La France
a une grosse carte à jouer. Il y a des Canadiens français dans tout le Canada.
La France, le Québec et le Canada doivent travailler ensemble pour créer des
emplois et pour bâtir des relations étroites. Essayons d’avoir un marché commun
entre l’Europe et le Canada. Si la France pousse, l’Europe suivra. La Chine,
l’Inde, l’Amérique du Sud vont donner du fil à retordre à l’Amérique du Nord et
à l’Europe. Il faut nous unir pour sauver notre peau. Power corp. Chiffre d'affaires 18,7 milliards d'euros .
Bénéfice : 900millions d'euros. La finance Le groupe de Paul Desmarais est
de plus en plus présent en Amérique du nord (Great-West, London Life, Canada-Vie,
Great-West& Annuity, Putnam Investments...) L'industrie En France, associé
à Albert Frère, il possède des participations significatives dans Total, Suez,
Ricard, Lafarge, Imerys. Il a aussi un pied en Chine
avec Citic. Les médias Le groupe possède plusieurs
quotidiens au Québec dont « La Presse ». |